Pierre Duquesne, journaliste, a animé en avril et mai des ateliers d’écriture à l’association la Passerelle (Vaux-le-Pénil), avec l’aide de l’équipe. 10 résidents ont couché par écrit des récits sur leur vie, leurs préoccupations, leurs rêves.
Nous vous invitons à découvrir le texte de Kevin.
Kevin et son compagnon ont choisi de quitter « l’île papillon » pour s’offrir de nouvelles perspectives en métropole. En septembre 2020, ils débarquent à Paris. Mais la pandémie les a rattrapés. Plus de réponses aux CV. Plus de travail. Sans RSA jeunes, le chemin est encore plus sinueux pour retrouver foi dans le futur.
Vivre sur une belle petite île paradisiaque, c’est merveilleux, mais on n’y trouve pas forcément son bonheur. J’ai grandi sur « l’île aux belles eaux » ou « l’île papillon », comme on l’appelle. La Guadeloupe. Là-bas, il y a effectivement de belles plages et une température idéale tout au long de l’année. L’île a aussi une autre spécialité : tout avance selon nos liens et les relations avec ceux qui nous entourent. Pour trouver du travail, surtout. Si j’ai pu travailler comme hôte d’accueil à l’Archipel, théâtre national de la Guadeloupe, c’est grâce à ma tatie qui y travaillait déjà. ça fonctionne par affinité. J’ai demandé de bosser à la mairie, on me répondait : « je vais parler de toi à la maire.» On a beau avoir un CV, plusieurs diplômes, c’est le réseau qui passe avant tout.
Malgré notre attachement à notre terre natale et à nos familles, la seule option qui nous reste, c’est de fuir, d’aller dans un autre pays où plus d’opportunités s’offrent à nous. Plus de la moitié de mes anciens camarades de classes sont partis vivre en métropole. Quand on leur demande pourquoi, ils répondent simplement qu’il n’y a rien aux Antilles pour les motiver à rester. On ne trouve ni boulot, ni aucune perspective d’évolution. Cela m’ennuie grave de prendre cette décision et de constater, au même moment, que des étrangers prennent possession de nos terres grâce à leur situation financière.
En septembre 2020, je prends l’avion pour la métropole. Je connaissais la France. J’étais déjà venu, et je me disais que ce serait plus facile pour moi de bouger en Île-de-France et donc de trouver du travail. Je n’ai pas le permis. Qui dit transport, dit travail. Ma mère vit à Melun, mais je ne voulais pas vivre chez elle. J’avais 29 ans, je ne voulais pas être une charge en plus. Je voulais me débrouiller. Avoir ma maison. Mon travail.
Cela ne s’est pas passé comme prévu. Avec mon compagnon, nous avons cherché du boulot. On a pris une location que l’on a trouvé à Savigny-le-Temple sur Booking, mais c’était trop cher. Nous sommes restés deux semaines. Nous avons postulé à toutes les annonces qu’on voyait passer : garde d’enfants, vente, restauration… On a laissé des CV dans tous les centres commerciaux, dans la restauration. Ils nous disaient : si vous n’avez pas de nouvelles dans les trois semaines, considérez que c’est fini. On a postulé à Mac Do, où j’avais déjà travaillé. Ils nous ont rappelé six mois après pour nous dire non !
Avant, quand je postulais sur Indeed, lors de mon précédent séjour en métropole, en 2018, j’avais des appels pour passer des entretiens. Là, avec la crise du Covid, tous les postes étaient fermés. On a attendu longtemps des réponses. Et quand il y en avait, elles étaient toutes négatives. Il n’y avait plus de travail. Nous avons fini par retourner chez ma mère. Je n’avais pas le choix. A mon âge, c’est un échec.
On a cherché tous les foyers possibles, FJT, Adoma, mais à chaque fois, il nous manquait des papiers. Moi j’avais le RSA, mais mon compagnon, qui a 20 ans, n’avait pas de revenus. Il n’avait droit à rien. Il a fini par trouver un service civique dans une association. Quelques mois après, la Passerelle nous a rappelés. Ce fut un soulagement. Au début, on s’était dit : c’est pas la peine d’espérer. Le 18 mars, on a emménagé. On s’est dit : « enfin ! » Cette attente nous a semblé très longue. Mon copain était sur le point de retourner chez ses parents, moi, chez ma grand-mère. Retourner en arrière. Retourner aux Antilles, dans la famille. Tout était fichu…
Depuis deux semaines, je suis caissier à Castorama, en interim. Au départ, c’était une mission de trois jours. En fin de semaine, ils m’ont proposé de revenir la semaine suivante. Après celle-ci, ils m’ont encore proposé de revenir… une semaine. Ce sont des remplacements de salariés malades et d’autres qui doivent rester chez eux pour garder les enfants… à cause du Covid. Je ne sais pas jusqu’à quand cela va continuer.
Je refuse de me plaindre. On est tous dans le même bateau. On voit la misère dans d’autres pays. Ce travail, ça me va. Je vois du monde. Je me sens mieux. Je me sens vivre. Avoir un CDI, trouver un logement, et puis voilà. La vie, c’est ça. Travailler. Acheter de quoi vivre. En espérant, bientôt, pouvoir ressortir.
Kévin