Pierre Duquesne, journaliste, a animé en avril et mai des ateliers d’écriture à l’association la Passerelle (Vaux-le-Pénil), avec l’aide de l’équipe. 10 résidents ont couché par écrit des récits sur leur vie, leurs préoccupations, leurs rêves.
Nous vous invitons à découvrir le texte de Ibrahima.
Guinéen, Ibrahima s’intéresse fortement à la vie politique française. Il aimerait faire de la politique « pour atteindre les sommets » et aussi « défendre l’égalité entre les femmes et les hommes ». Les discours xénophobes, qui pénètrent les esprits jusque dans les quartiers populaires, achèvent de le convaincre de ne pas se lancer dans une activité militante. Il ne lui vient pas non plus à l’esprit de prendre la parole pour défendre ceux qui, comme lui, ont connu le difficile parcours de mineur isolé.
La politique me passionne. J’aimerais m’engager pour défendre les sans voix, la liberté et l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais faire de la politique en France, c’est impossible pour moi.
Si tu es étranger et que tu fais de la politique en France, on te renvoie sans cesse à tes origines, au pays d’où tu viens. C’est ce qui s’est passé avec Danièle Obono ou Sibeth Ndiaye. La première est députée de gauche, et Valeurs actuelle l’a représentée enchaînée comme une esclave, en descendante d’Africains asservis. Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, a aussi fait l’objet de commentaires racistes, notamment au moment du mouvement des gilets jaunes.
Si tu regardes, il y a peu de personnes issues de l’immigration qui font de la politique. C’est rare d’en voir, et qui sont fières de faire de la politique en France. Rien n’empêche les étrangers de militer. Même au Rassemblement national, il y a des personnes issues de l’immigration. Mais représenter les autres, avoir des mandats, c’est une autre histoire. Il y en a trop peu. Et cela n’encourage pas non plus les gens de la base à s’engager. Moi, si je m’engage en politique, c’est pour atteindre les sommets, sinon cela ne sert à rien.
L’immigration n’est pas absente du débat. Les politiciens et les médias parlent bien souvent de ce sujet, mais ce n’est par pour parler de nous, les étrangers, de nos vies, mais pour attiser la peur et nourrir la haine. La politique actuelle parle peu des problèmes de la société et l’égalité entre les hommes.
Ce que je vois à la télé, ça ne donne pas non plus envie. Ici, tous les gens qui vivent dans les cités, ce sont des immigrés, ils ne sont pas perçus comme des vrais français. C’est le discours de Marine Le Pen, et il est aussi partagé par de nombreux jeunes des quartiers populaires. Même ceux qui sont nés ici se disent rejetés par le système. J’écoutais deux jeunes l’autre jour, il disait aussi qu’ils n’étaient pas de vrais Français, avec des aïeux qui se sont battus pour la France. Et puis, pour faire de la politique, il faut être en possession de tous les mécanismes. Il faut suivre les formations. Il faut être informé. Savoir, lire et écrire, avoir la bonne manière de parler. Quand tu viens d’un autre pays, il faut maîtriser la langue. Il faut s’intégrer d’abord.
Ibrahima