C’est cette fois-ci à Habitat Jeunes Béthanie (Lille), que le journaliste Pierre Duquesne a été en juin à la rencontre de résidents pour animer des ateliers d’écriture et recueillir leurs témoignages.
Nous vous invitons à découvrir le texte de Teddy
Une mallette de couteaux a fait déborder le vase. Quand il a compris que sa famille, dans l’incapacité de lui acheter le matériel nécessaire pour commencer un apprentissage, ne pourrait plus l’aider, Teddy est parti. A 16 ans, il a quitté la maison, sa mère et ses deux sœurs, le cœur serré, avec deux valises pour tout bagage. « C’était ma seule chance pour m’en sortir », analyse-t-il aujourd’hui. Lucide.
C’était en août 2016. J’avais commencé à chercher du travail. Je n’arrêtais pas de harceler un restaurateur pour qu’il me prenne en contrat d’apprentissage. Il a vu ma détermination. Il m’a appelé, j’ai décroché un entretien, et il m’a pris pour un stage. Je voulais préparer ma vie future. Devenir débrouillard. Travailler. Être prêt à assumer, à faire des choses pour m’en sortir.
Tout content, j’ai annoncé la (bonne) nouvelle à ma mère. Seulement voilà. Il fallait, pour commencer, acheter une mallette de couteaux, à 100 euros. Ma mère n’avait pas les moyens. Elle était inscrite à la Banque de France, c’est à dire endettée de plus de 20 000 euros.
Je me suis renseigné. La mission locale, à Caudry, pouvait m’aider, mais il fallait avancer la somme, et une fois l’article acheté, ils pouvaient me rembourser. Même cela, ma mère ne le pouvait pas.
Cela m’a rendu encore plus mal. Encore une fois, je me suis dit que ne pouvais rien faire. On m’offre une opportunité et je ne peux pas la saisir. Je n’allais plus en cours, et je n’avais plus envie d’y retourner. Il y avait du harcèlement, à l’école.
J’ai encore plus déprimé. Je pensais à ma vie de famille avant la séparation de mes parents. Il y avait des choses super sombres, des choses bien, aussi. Cela m’a rendu encore plus triste. J’ai pleuré des heures et des jours entiers. J’ai pleuré avec mes sœurs.
Après, je me suis énervé. Cette histoire de couteaux, ce fut le déclencheur. Une semaine plus tard, j’ai décidé de prendre mon indépendance. Je suis parti. J’ai préparé deux sacs, comme si je préparais en voyage. J’ai pris la moitié de mes vêtements, des bijoux.
“Ou est-ce que tu vas aller ?”, m’a demandé ma mère. Je n’avais vraiment réfléchi à la question. J’étais arrivé à un stade où je m’en foutais de ce qu’il pouvait arriver. Après avoir préparé mon sac, j’ai quand même tapé sur Google : “foyer / Caudry”.
Un foyer de l’enfance, boulevard du 19-mars, est apparu à l’écran. Une fois sur place, j’ai expliqué que ma situation familiale était compliquée, que j’allais dormir dehors. Je l’avais déjà fait une fois, à 15 ans. Les responsables ont appelé le centre social. J’ai attendu une heure. Ils m’ont donné une chambre. C’était un nouveau départ.
Sur le moment, ce ne fut pas difficile de partir. Il le fallait. Ma mère était triste. Pour elle, je suis toujours son bébé. Elle savait que je voulais partir… j’avais déjà fugué à 5 ans ! Elle a fini par comprendre les raisons de mon départ. Aujourd’hui, on se parle toujours, et elle m’aide, quand elle peut. Elle m’a dit regretter de ne pas avoir acheté la mallette. Ce n’était pas de sa faute. Il y a tellement d’autres raisons pour lesquelles je suis parti. La relation avec mon père, toxique, les insultes, le fait d’être sans cesse rabaissé, l’alcool… Quand mon père ca n’allait plus, je ne suis réfugié chez ma mère, et il a fallu partir à nouveau.
Au deuxième foyer, à Cambrai, j’ai fait beaucoup de rencontres, des bonnes et des mauvaises. Certaines personnes étaient tombées dans la drogue dure, d’autres étaient plus sereines. Au foyer, tous les gens m’ont aidé à financer une mallette de couteaux, pour que je puisse prendre mon indépendance.
La cuisine m’a permis d’évoluer, de développer mes compétences. J’ai fait plusieurs métiers. J’ai ensuite fait l’Epide, un stage dans une structure militaire. C’est comme faire l’armée, mais en moins pire. J’ai travaillé comme agent de sécurité, et suis aujourd’hui en bac pro commerce. Maintenant je me sens prêt à faire ce dont je n’étais pas capable il y a quelques années.
Partir, cela m’a ouvert des portes.
Teddy