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Le 13 janvier 2022

Nora. Mère toxique : cela me pèse encore, à 28 ans

C’est à Habitat Jeunes Béthanie (Lille), que le journaliste Pierre Duquesne a été en juin à la rencontre de résidents pour animer des ateliers d’écriture et recueillir leurs témoignages.

Nous vous invitons à découvrir le texte de Nora.

Nora est indépendante. Diplômée. Niveau bac + 5. Elle travaille. Vit à 1400 kilomètres de sa mère, restée en Algérie. Et pourtant, l’éducation conservatrice qu’elle a reçue et les relations compliquées avec sa mère continuent de lui pourrir la vie, et l’empêchent notamment de «jouer avec les garçons».

Habille-toi correctement ! » « Tu parles à qui ? » « Pourquoi tu veux sortir ? » « Ne traîne pas avec cette fille, je ne l’ai pas aimée ! » « Regarde notre voisine Imène comme elle est belle et sage, en plus elle est classée première de sa classe, toi, tu es nulle, tu ne sais rien faire… » Les remarques négatives de ma mère n’ont jamais cessé depuis mon plus jeune âge.

Je m’appelle Nora, j’ai 28 ans, et encore aujourd’hui, elle n’arrête pas de me faire des reproches. J’habite à 1400 km d’elle, et malgré la distance, les critiques continuent. Je suis née dans un pays maghrébin, dans une famille moyennement conservatrice. Mon père est officier dans l’armée, ma mère femme au foyer… et pourtant c’est elle qui possède le caractère d’un militaire.

« Il faut la respecter et l’obéir …c’est ta mère, elle ne veut que ton bien.» C’est la réponse standard de tous mes proches quand je me plains de son comportement ou lorsque je leur demande de lui parler à ce sujet. Sachant que je n’étais pas désobéissante, c’était toujours elle qui crée des conflits. Certes, c’est ma mère, elle m’a donné la vie, mais elle n’a pas le droit de m’humilier en permanence.

Frappée parce que je jouais avec des garçons !

Je me souviens d’une scène qui s’est déroulée lorsque j’étais enfant. C’était les vacances. Je n’étais pas loin de la maison en train de m’amuser avec mes voisins, âgés de 5 à 8 ans. J’aimais jouer avec les garçons plutôt qu’avec les filles car je trouve leurs jeux impressionnants (course, ballon etc). Soudain, elle m’a aperçue de la fenêtre, elle m’a appelée, je suis rentrée, elle m’attendait devant la porte et quand je me suis rapprochée elle m’a tirée par les cheveux, hystérique, a commencé à me donner des coups de pied en m’insultant : « Idiote ! Pourquoi tu ne joues pas avec les filles comme toi, les garçons sont méchants, ce sont des pervers, ils vont te faire des choses sales ! » Depuis ce jour, j’ai arrêté de jouer avec les garçons. Les mots de ma mère sont gravés dans mon cerveau. Les conséquences sont lourdes, encore jusqu’à présent. Je n’arrive plus à faire confiance aux hommes et je n’arrive pas à construire une relation avec un homme. Dans ma tête, tous les hommes sont pervers et méchants.

Ma mère me comparait toujours aux autres, à mes voisines, mes cousines et me disait qu’elles étaient mieux que moi et plus belles que moi. J’étais brillante à l’école, et malgré cela, elle ne me félicitait jamais, elle trouvait toujours quelque chose pour se moquer de moi. Me comparer aux autres filles ne m’a pas encouragé, au contraire ça m’a détruit ! En plus, elle m’humiliait souvent en public, devant la famille. Elle me disait qu’elle se comportait de cette façon pour m’encourager à faire plus d’efforts. Peu importe : j’ai fini par perdre confiance en moi, je suis devenue très peu sociable et je m’isolais constamment dans ma chambre.

Son comportement est peut-être dû à son enfance. Ses parents ont divorcé quand elle avait 8 ans. Elle vivait avec sa grand-mère car sa mère l’a quittée pour s’installer avec un autre homme et son père s’est aussi remarié… Elle aussi a subi de la maltraitance de la part de sa belle-mère qui vivait dans la même maison. Tout cela est peut-être la raison de son comportement agressif avec moi, mais elle ne veut pas l’avouer, elle pense toujours qu’elle est forte et ne souffre pas de problèmes psychologiques. Aujourd’hui, j’ai 28 ans, je n’en veux pas à ma mère même si elle n’a pas changé. On se parle parfois au téléphone. Ce qui me pèse aujourd’hui ; c’est que je n’arrive pas à me guérir psychologiquement, je n’ai toujours pas confiance en moi et je me culpabilise souvent. La distance a dissipé ma colère mais les conséquences sont permanentes.

Nora