C’est à l’Aljepa, à Aix-en-Provence, que Sophie Bourlet, journaliste à la Zep (Zone d’expression prioritaire), a été en décembre à la rencontre de résidents pour recueillir leurs témoignages sur des sujets de leur choix…
Découvrez le texte de Justine.
A cause du sexisme, je limite mon expérience de joueuse.
Lorsque je joue en ligne, c’est avec des amis que je connais dans la vraie vie, notamment de sexe masculin, et lors de sessions programmées. Il ne me viendrait pas à l’esprit de me lancer en ligne face à des inconnus, pour la simple et bonne raison que je peux me retrouver à entendre des remarques sexistes.
Tout le monde s’est déjà essayé à Mario. Même ma mère a joué à Pac-Man. 71 % des Français jouent occasionnellement. Mais jouer en ligne est quelque chose de plus compliqué, on se retrouve face à des inconnus, des étrangers. Tout le monde ne s’y risque pas. Les gens n’ont pas forcément envie de devoir affronter une horde de rageux alors qu’ils cherchent à se détendre. Près de la moitié des joueurs en tout sont des joueuses et pourtant, leur place dans ce monde semble très limitée.
Pour ma part, lorsque je me suis mise à jouer en ligne, c’était sous la houlette de mes amis masculins et avec leur aide. Je ne me voyais pas faire autrement. Ils étaient ma porte d’entrée vers ce monde virtuel. Je ne connaissais pas d’autres filles jouant aux jeux vidéo. C’est parce qu’ils jouaient que cela m’a donné envie de m’y mettre moi aussi.
Dans le documentaire « À quoi rêvent les jeunes filles » on voyait un passage lors duquel on entendait des jeunes gens jouer en ligne. Un des jeunes hommes, lorsqu’il s’apercevait qu’une fille était parmi eux, disait immédiatement : « On peut la sodomiser« . Sa voix n’avait même pas encore mué. Pour ce garçon, une fille représentait une sodomie ? Réellement ?
J’ai donc la trouille de me retrouver dans une situation similaire et en conséquence, je limite mon expérience de joueuse. Ce qui me semble très injuste. J’ai même choisi sciemment un pseudo neutre au niveau du genre sur Steam, la plateforme sur laquelle je joue, alors même que je sais qu’avoir un pseudo féminin permet de recevoir de l’aide plus facilement. En effet, des études ont montré qu’avoir un pseudo féminin sur les forums fait que les gens vous viennent plus aisément en soutien. C’est au point que même avec mes amis, j’utilise ce pseudo. Je suis pourtant chez moi, un espace qui devrait être sécurisé par rapport à d’autres endroits comme la rue, mais même ici je peux être confrontée au harcèlement.
Jeel, la youtubeuse que je suis, doit affronter le sexisme couramment. Au Zevent 2021, un grand événement caritatif en ligne sur Twitch, a dû répondre à « Tu peux jouer aux jeux vidéo en étant une fille ? ». Sa répartie : « Je ne suis pas une fille. Je m’appelle Gilles« , suivie de très près par « Pourtant j’ai réussi ce métier« . Comme cette américaine qui répondait à « Puis-je te baiser » par « On peut faire ça vendredi si vous voulez ? » histoire de désamorcer la situation. J’aimerais avoir une telle répartie et j’admire leur cran. Personnellement, je ne me sentirais pas capable de faire ce métier.
Et puis, tout le monde pense que les filles sont mauvaises aux jeux vidéo. J’aime citer en exemple une ancienne amie qui est une joueuse chevronnée, tellement douée qu’elle s’est déjà retrouvée avec un joueur pro dans son équipe sur League of Legends. Il y a également ma sœur jumelle, qui a d’excellents réflexes de gameuse.
Les jeux et les personnages sont de toute façon taillés pour et par les hommes. Par exemple, dans God Of War, je n’ai aucune envie de jouer le héros, Kratos.
Il ressemble beaucoup trop au méchant que l’on doit combattre … Usul s’était d’ailleurs beaucoup moqué de ce personnage dans son 3615 sur la virilité, notamment de « la façon dont ce garçon ouvre les portes et les coffres« , qui est selon lui « débilement viriliste » puisqu’il s’agit de hurler en usant de la force. À contrario, les personnages féminins sont très souvent sexy. Même lorsqu’il s’agit d’animaux ! Krystal, dans Star Fox Adventures, sur GameCube, est une renarde et pourtant elle est très peu vêtue. Il est relativement rare d’avoir des personnages « normaux », comme Mei dans Overwatch, qui est plutôt boulotte. Ce n’est d’ailleurs pas elle l’égérie du jeu, car ils ont choisi Tracer, qui correspond beaucoup plus aux canons de beauté actuels et appelle les joueurs « mon chou« . Le plus grand exemple est celui de Lara Croft dans Tomb Raider. Le Joueur du Grenier dit lui-même que « La guerre des consoles, on l’a tous perdue face à une paire de nichons pointus« . Cela en dit long sur la place de cette héroïne au Panthéon vidéoludique. Usul lui-même évoquait les rumeurs sur un code de triche permettant de la voir nue… J’espère pour elles comme pour moi que dans le futur, les choses changeront et que je n’aurai plus à me cacher. Je souhaiterais pouvoir jouer avec ou contre des inconnus sans peur. Il faudrait que plus de femmes fassent partie des équipes de création de jeux, afin que l’on puisse avoir des jeux plus ouverts et moins formatés comme les anciens.
Justine, 30 ans